Un vin qui a la banane

Le Beaujolais Nouveau… Un grand concept marketing, un vin fruité et facile à boire, une manne pour les bars qui organisent des soirées, une piquette pour les pros… Mais est-ce vraiment la réalité ? Bref c’est quoi vraiment ce truc rose au fond de mon verre ? De la grenadine ? Du jus de raisin avec de l’alcool à brûler ? Un vin, un vrai avec une méthode de vinification spécifique ? 

Parce que dans cet article je ne vais pas parler du Beaujolais, vin provenant de la Bourgogne, mais du Beaujolais Nouveau qui est un type de Beaujolais. Fait à partir du cépage Gamay, depuis quelques années on fête, curieusement, la sortie de ce cru. Alors ça vient d’où ? C’est quoi ? Et est-ce que c’est un bon rapport qualité/prix ? Zoom on Beaujolais Nouveau !

Lyon est une ville arrosée par trois grands fleuves : le Rhône, la Saône et le Beaujolais

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Le Beaujolais Nouveau c’est du vin ! On aime ou pas mais on ne peut pas dire que ce n’est pas du vin. On peut souligner, à la rigueur, que c’est un jeune vin qui est réalisé pour être bu tout de suite ! En gros c’est un peu le vin à emporter du marché ! Le Fast Wine made in France. Le Beaujolais Nouveau c’est un concept mais c’est aussi une méthode de vinification bien spécifique : la macération carbonique. 

Utilisée pour la vinification des vins rouges, la macération carbonique est bien adaptée pour le Gamay, cépage de la région bourguignonne d’origine du Beaujolais. Alors avant de nous plonger dans le Beaujolais Nouveau, voyons d’abord en quoi consiste cette méthode de vinification !

  • Principe de la macération carbonique

Lorsque le raisin est placé non foulé dans une atmosphère de dioxyde de carbone, l’énergie pour assurer ses fonctions vitales se positionne dans un métamobilisme d’anaérobie (alors qu’habituellement la respiration se fait en aérobie et permet de d’utiliser l’oxygène pour transformer le sucre en eau et en dioxyde de carbone). Durant le mécanisme d’anaérobie, le sucre est transformé en éthanol. Les levures utilisent ce système et surtout la levure du vin : Sacharomyces Cerevisiae. En plus de la création d’alcool, les enzymes de la baie vont apporter au vin cette typicité si recherchée de la macération carbonique.

La macération carbonique se fait en deux étapes cruciales :

1) La cuve est remplie de raisins non foulés et est placée sous CO2 pendant 8 à 15 jours à une température de 20 à 30°. Durant cette phase, le raisin est modifié par l’action de l’anaérobie et dans la pulpe sont diffusés des éléments issus de l’anaérobiose (anthocyanes, polyphénols…). De plus, l’activité levurienne augmente fortement grâce au fait que le milieu est faible en oxygène, qu’il y a peu de sulfitage et d’éthanol et que les constituants de la pruine sont toujours présents. 

2) La cuve est vidée, les raisins sont pressés. Les vins de goutte et de presse sont généralement assemblés pour connaître une fermentation alcoolique classique et une fermentation malolactique. La population levurienne étant importante, la fermentation alcoolique se fait ‘sans encombres’ (même si tout est relatif bien sûr). La macération carbonique permet également une bonne fermentation malolactique car la température de FA augmentant, la population bactérienne peut se développer à l’insu des levures. De plus, la bonne FML est permise par l’augmentation du PH ainsi que de la présence d’une alimentation azotée nécessaire. 

Il n’empêche que ces deux fermentations ne doivent pas se réaliser en même temps pour éviter les risques. Il faut donc que la macération carbonique soit véritablement surveillée et que la vendange fraîche soit sulfitée un minimum. 

Il est arrivé, le beaujolais
  • La conduite de la macération carbonique

Si vous avez saisi un peu le principe de la macération carbonique vous allez me dire que pour que la conduite de cette dernière se fasse sans pépins (ahah), il faut que les raisins soient sains dès le départ sinon tout est faussé. Et en effet, la vendange doit être réalisée avec attention, les grappes et les raisins doivent être maintenus dans leur état d’origine. Aussi il est conseillé de ramasser les raisins en petite quantité et de les placer dans des petits cageots. Le remplissage de la cuve doit se faire avec délicatesse pour éviter que les raisins n’éclatent. C’est pour cette raison que la vendange n’est pas éraflée, ni égrappée. On a souvent des notes herbacées dans les vins issus de la macération carbonique, ce qui est considéré comme un défaut. Mais à l’heure actuelle, aucun matériel ne permet un éraflage sans compromettre la bonne réalisation de la macération. 

Il faut savoir que malgré toutes les précautions, le jus de goutte va s’écouler et durant la phase d’anaérobie son volume va augmenter. Ce volume dépend de l’état de maturité des baies, du cépage, de la taille de la cuve et du fait qu’un remontage d’homogénéisation ait été réalisé pour que le sulfitage soit homogène.

La cuve de macération carbonique contient donc 3 éléments (il faut visualiser la cuve de haut en bas): 

– Des raisins entiers non foulés et non égrappés, immergés qui sont sous atmosphère CO2 permettant au mécanisme d’anaérobie de fonctionner. L’éthanol va donc être de plus en plus important. A savoir que soit on réalise un pied de cuve pour que la fermentation offre le CO2 nécessaire et ensuite on rajoute les raisins restant pour que la macération se complète, soit on met la vendange entière sous atmosphère CO2 provenant de bouteille industrielle. 

– Des raisins entiers dans un moût provenant de raisins écrasés. Ils ont un mécanisme d’anaérobie moins intense. 

– Du moût provenant de raisins écrasés qui subit une fermentation alcoolique. 

Le remontage est donc indispensable (pour l’homogénéisation du sulfitage, l’éviction de bactéries mais aussi pour intensifier les arômes et la structure tannique du futur vin). La cuve est mise sous CO2 et doit être maintenu dans cette atmosphère pendant 24 à 48h. La température doit aussi être contrôlée pour que l’anaérobie soit efficace (entre 30 à 35° pendant 6 à 8 jours, la durée doit être inférieure à 10 jours). Si la température n’est pas assez élevée, on laissera donc la vendange plus longtemps en cuve. 

Vient le temps du décuvage : le pressurage doit se faire avec soin. Il sera plus lent mais aura une capacité plus importante à cause de la présence de baies entières. Un foulage peut être réalisé avant afin de simplifier le pressurage. Il est recommandé suite à cette étape de mélanger le vin de goutte et le vin de presse car ils sont complémentaires d’un point de vu de constitution. La fermentation alcoolique complète peut avoir lieu et se fait rapidement à 18°/20° et la FML s’enclenche après classiquement. 

Art autour du beaujolais
  • Caractéristiques du vin issu de la macération carbonique

La macération carbonique est réalisée entre 25 et 35°C, ainsi les vins issus de ce type de vinification ont une intensité tannique aussi importante qu’un vin issu d’une vinification classique. Par contre, la densité, l’extrait sec, l’acidité fixe et le taux de composés phénoliques sont moindres. Le vin paraît donc plus allégé, il est plus souple, rond, coulant et ‘moelleux’. Ce caractère mince du vin peut aussi être négatif dans le cas où l’extraction a été trop importante : le vin est alors maigre et souvent amer. 

Mais la véritable utilisation de la macération carbonique réside dans le fait qu’elle permet une incroyable mise en lumière de la spécificité aromatique des cépages. Certains on pu la critiquer sur une uniformisation des goûts. Pourtant il est indéniable que la macération carbonique augmente l’intensité aromatique de certains cépages neutres comme le Carignan ou l’Aramon mais elle fait aussi ressortir l’arôme du Muscat ou de la Syrah !

Les vins issus de la macération carbonique ont une dominante fruitée : cerise, kirsch, prune, noyau de cerise… Contrairement aux vins issus d’une vendange foulée qui tirent plus sur la réglisse et les notes boisées ainsi que vineuses. 

La macération carbonique ne permet pas, par contre, de créer des vins de garde. En effet, après quelques années et ce très rapidement, il y a une perte de la spécificité du cépage. 

Ceci n'est pas une banane

Le Beaujolais Nouveau dans tout ça ? Datant de 1951, une décision réglementaire permet de mettre sur le marché les mises dites anticipées. Ainsi est le né le concept du Beaujolais Nouveau. Rendez-vous planétaire, le Beaujolais Nouveau est aussi appelé Beaujolais Primeur (ou Beaujolpif pour les intimes) et il sort le troisième jeudi de Novembre à Minuit pile depuis 1985 ! Le Beaujolais Nouveau est lancé lors de la Fête traditionnelle des Sarmentelles à Beaujeu où des brouettes remplies de sarments en feu précédent la perce des tonneaux avant minuit ! Il est considéré comme un vin ‘populaire’, un vin de fête qui met en avant les caractéristiques du Gamay Noir à jus blanc ! La région de Beaujolais englobe 12 appellations qui produisent en tout 1 000 000 d’hectolitres (soit 130 millions de bouteilles) dont 1/3 est du Beaujolais Nouveau. 54 millions de bouteilles sont exportées dans 110 pays avec en tête le Japon, les USA et l’Allemagne. 50% des Beaujolais consommés à l’international sont des Beaujolais Nouveau.

Le Beaujolais Nouveau est produit dans les 12 appellations du Beaujolais (Beaujolais et Beaujolais-Village). Le Gamay est le cépage roi mais on peut aussi trouver dans une limite de 15% d’autres cépages comme le Chardonnay, l’Aligoté, le Pinot Noir… La macération carbonique va donner au Beaujolais Nouveau des caractéristiques organoleptiques uniques : des nuances dites amyliques. En effet, l’ester acétate d’isoamyle qui est produit par les levures (la 71B est connu pour cette capacité, il s’agit de levures rajoutées) est reconnaissable très facilement pour ses arômes fruités tels que le bonbon anglais, la banane ou le vernis à ongle (et là c’est moins sexy). On peut aussi avoir des arômes floraux, fraise tagada, caramel… Tout un programme !! Le Beaujolais Nouveau est dit gouleyant, facile à boire, il permet un plaisir immédiat et il s’accorde parfaitement avec la cochonnaille ! So populaire !!

So marketing, so wahrol

Et côté marketing ? Le Beaujolpif était alors synonyme de piquette, d’accordéon et flonflon, ringard et franchouillard. L’Interprofession des vins Beaujolais Nouveau a dépensé la bagatelle de 1,5 millions d’euros et s’est payé les services de la fameuse agence Havas 360 pour redorer le blason du Beaujolais en 2006. Suite à la rétrospective Andy Wahrol au Grand Palais, l’Interprofession tape fort avec une campagne aux couleurs du Pop Art. Le vin se met même à la mode en collaborant avec Esmod et Lanvin ! Bref le Beaujolais Nouveau c’est djeuns, c’est glamour, c’est festif, c’est branché ! Plus question de le critiquer sinon vous êtes has been mes chéris !! Le Beaujolais Nouveau touche les jeunes de 25 à 35 ans, CSP+ voir ++. L’Interprofession ne communique plus aujourd’hui sur le montant de son enveloppe marketing mais pour que 110 pays suivent, que les Japonais se baignent dedans (oui, oui !!) et que les ventes augmentent, il n’y a pas de secret !

Personnellement je ne suis pas une grande fan du Beaujolais Nouveau. Mais si c’est juste pour le côté marketing, festif, si c’est juste pour l’ambiance, si c’est en oubliant qu’il n’y a pas vraiment de complexité (et en même temps ce n’est pas ce qui est recherché), alors là le pari est gagné et j’adhère d’une certaine façon… Un conseil pourtant : ne confondez pas le Beaujolais Nouveau avec le Beaujolais en général car ça n’a rien à voir et ce sont des appellations à connaître !! 

Pour finir, je vous propose une petite dégustation d’un incontournable des Beaujolipifs ! La dégustation date de 2012 mais j’ai gardé mes notes !

– Beaujolais Nouveau Pisse Dru, 2012

Teinte violine d’une intensité faible mais séduisante. Le nez est aromatique et fruité. L’alcool est un peu présent et on sent les arômes classiques tels que la banane, la framboise et un côté lacté. Le second nez est plus alcooleux (type solvant) et on détecte des notes de fruits croquants (cerise, fraise, coulis de fruits). L’attaque est acide, l’évolution vineuse. Il n’y a pas beaucoup de structure, peu d’équilibre mais les arômes sont typiquement ceux que l’on attend : fruits rouges, banane, poivré léger avec une persistance aromatique faible ! Bref c’est facile à boire, fruité et il ne faut pas trop en demander.

– Beaujolais Nouveau Pisse Dru, 2008 (pour voir un peu si avec un peu de garde c’est prometteur ou catastrophique !)

La robe est violine sur la mûre, plus foncée que la précédente et légèrement plus intense.  Le nez est sur des arômes fermentaires type lait, crème et banane. C’est assez intense. Le second nez dévoile des touches de banane et surtout de fraise. De plus, on sent moins l’alcool et le souffre apparaît. L’attaque est sucrée et charnue, l’évolution est acidulée et fruitée. On retrouve l’orange, la fraise et une impression édulcorée. C’est très acide. 

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